J’ai pu renouer avec la lecture pendant mes vacances. Alors je vous livre plusieurs de mes coups de cœur en attendant les romans de la rentrée littéraire.
« Monique s’évade » d’abord, d’Edouard Louis qui a fait une entrée retentissante dans le monde de la littérature avec En finir avec Eddy Bellegueule. Après avoir écrit sur la violence, sa famille, et livré une méthode pour changer de vie, il poursuit son travail d’écriture autobiographique en parlant de sa mère, Monique. Cette dernière violentée et humiliée par son nouveau compagnon après avoir plaqué mari, enfants et le nord de la France, pour Paris lui demande de l’aide alors qu’il est à Athènes pour une résidence d’écriture. Il organise sa fuite à distance et lui permet de réinventer sa vie. Il montre aussi que sa liberté retrouvée a un prix et réalise certaines choses : « L’exclusion qui avait formé la matière de sa vie se jouait dans des détails si minuscules, si minuscules, je pensais en l’écoutant : à plus de cinquante ans elle n’a encore jamais expérimenté certaines saveurs, jamais éprouvé certaines sensations gustatives, comme une forme de dépossession culinaire et sensorielle. » Malgré ces tristes constatations et contrairement à ses précédents romans, il y a de la joie dans celui-ci, la joie d’une femme qui se libère à 55 ans, qui va pour la première fois de sa vie avoir une maison rien qu’à elle, qui va pour la première fois prendre l’avion…J’ai aimé ces rires et ces premières fois. J’ai aimé le regard teinté de fierté et d’amour qu’un fils porte sur sa mère en la faisant renaitre. Très émouvant !
Aux Editions Seuil
Avec Rachid Benzine, place au père dans « Les silences des pères », un très court texte qui m’a émue aux larmes. Il raconte les non-dits qui éloignent le narrateur, pianiste à la carrière internationale, de son père taiseux, « ma mère était sa voix ». Amine interrompt une tournée pour se rendre aux obsèques de son père qu’il n’a pas vu depuis plus de vingt ans. En vidant son appartement en compagnie de ses sœurs, il tombe sur les cassettes que son père envoyait à son grand-père pour lui raconter sa vie en France et découvre un homme qu’il ne connait pas. « Ce qui me frappe, c’est sa voix de jeune homme. Hésitante, elle traduit son âge, sa timidité. C’est étrange d’entendre mon père parler d’une vie où nous n’existions pas encore. […] Au fond, les enfants ne s’intéressent jamais à ce qu’ont été leurs parents. » Il décide alors de se lancer sur les traces du jeune immigré de dix-neuf ans et de rencontrer ses anciens amis et pour comprendre pourquoi sa voix s’est tue. « Parce que les vieux comme ton père ils ont voulu que toutes les souffrances, tout ce qu’ils ont subi s’arrête avec eux. Ils voulaient vous en préserver. Pour que vous soyez libres de réussir votre vie, sans rancœur, sans amertume. » Ce faisant, il découvre aussi l’histoire de tous ceux qui ont dû quitter leur pays et renoncer à leurs rêves et à l’amour parfois.
Un roman à la fois intime et universel, sobre et puissant, élégant et subtil qui rend hommage à la première génération d’immigrés, ceux qui sont venus en France pendant les Trente Glorieuses faire le travail que les Français ne voulaient pas faire et qui ont été maltraités, humiliés, ratonnés : “Avec du ciment et des immigrés, voilà comment on a tout reconstruit. Des dizaines de milliers de forçats affamés.” Et qui montre comment les enfants d’immigrés sont tenaillés entre la et l’oubli.
Une histoire qui me hante encore…
Aux Editions Points
Avec « Jacaranda », Gaël Faye, chanteur franco-rwandais dont j’avais adoré le premier roman « Petit pays » (Prix Goncourt des lycéens 2016), raconte avec force et pudeur la reconstruction du Rwanda après le génocide des Tutsi en 1994, un pays qui s’essaie malgré tout au dialogue et au pardon.
Le pitch : Milan est en classe de sixième quand le génocide des Tutsis est perpétré par les Hutus au Rwanda. De ce pays loin de sa vie à Versailles, il ne connaît que le nom et les images de massacres diffusées à la télévision. Sa mère, une Rwandaise installée depuis une vingtaine d’années en région parisienne, ne lui a jamais raconté son histoire. Mais la médiatisation du génocide suscite les interrogations du jeune garçon et fait entrer la question des origines dans le domicile familial. Je vous laisse découvrir pourquoi le roman s’appelle « Jacranda ». Je ne peux pas tout spoiler.
D’un premier voyage à l’adolescence à sa progressive intégration dans les rues de Kigali, Jacaranda suit la rencontre de Milan avec le Rwanda, sa famille, son histoire et en filigrane l’histoire terrible d’un pays qui tente de se reconstruire grâce aux liens humains. Gaël Faye Gaël Faye, qui vit en famille au Rwanda depuis 2015, explore les racines coloniales du génocide des Tutsis, remonte l’histoire politique, religieuse, et s’intéresse aux lendemains, aux traumatismes de la population et plonge le lecteur dans les abîmes d’une tragédie dont on n’a pas fini de sonder les répercussions trente ans après.
Un récit écrit avec pudeur, douceur et justesse dont on ne sort pas indemne et qui fait écho au génocide perpétré en direct à Gaza.
Aux Editions Grasset